DOSSIER Maisons de composition : l’ère de la consolidation

Les fusions-acquisitions se poursuivent chez les leaders de la fourniture
de matières premières pour la parfumerie. Ils creusent un peu plus l’écart avec les entreprises souvent familiales de taille moyenne, qui, pour leur part, continuent de cultiver leur différenciation en maîtrisant les matières naturelles et en mettant en avant le made in Grasse.

LES GROUPES POURSUIVENT LEUR CROISSANCE EXTERNE

Les principaux fournisseurs d’ingrédients parfumés continuent de se diversifier et de renforcer leur business notamment dans les arômes alimentaires, un marché aux perspectives prometteuses qui pourraient aussi servir le parfum.

GIVAUDAN A UN APPÉTIT DE LEADER

Les raisons de ces rachats Givaudan a procédé à plus d’une dizaine d’acquisitions depuis 2016. Récemment, il a repris l’américain Ungerer, fournisseur d’arômes, de parfums et d’ingrédients de spécialités en particulier des huiles essentielles. Côté parfums, il a racheté l’an passé l’allemand Drom, mais aussi l’anglais Fragrance Oils, peu après Expressions Parfumées et Albert Vieille à Grasse. En 2018, il avait aussi repris le français Naturex, leader mondial des ingrédients végétaux pour les compléments alimentaires, pour 1,29 Md€. Après avoir aussi racheté des fournisseurs cosmétiques comme Soliance, le groupe suisse est devenu leader des fournisseurs d’ingrédients, toutes catégories confondues (voir Cosmétiquemag n°211).

« Ungerer jouit d’une excellente réputation sur le marché grâce à la qualité de ses ingrédients de spécialités ainsi qu’à la solide position qu’elle occupe dans le segment des clients locaux et régionaux en forte croissance. » – Gilles Andrier, CEO de Givaudan

IFF VOIT LES CHOSES EN GRAND

Les raisons de ces rachats L’alliance avec DuPont Nutrition & Biosciences permettra sans doute de dessiner les protéines du futur, aromatisées au goût de soja ou de poulet. Utopiste ? Pour parler de leur complémentarité, les deux groupes ont pris l’exemple
de ce que « chacun apporterait à un burger vegan : une protéine végétale, des émulsifiants
et des liants côté DuPont, des antioxydants et des arômes côté IFF ». Rappelons que la
division N&B de DuPont est spécialiste des ingrédients pour l’alimentation, les boissons, et des probiotiques dont il est le leader mondial. En général, l’industrie des arômes et de la
parfumerie investit 10% du chiffre d’affaires en R&D. Si on applique ce principe à la nouvelle entité IFF – DuPont Nutrition & Biosciences, cela ferait déjà au moins 1Md$. Forcément
avec cette somme, il y aura certainement de nombreux brevets déposés, et les avancées en
arômes débouchent toujours sur des avancées en parfums. C’est aussi l’occasion pour ces deux sociétés de réaliser des économies d’impôt de plusieurs centaines de millions de dollars (estimés à 300 M$ d’après IFF) : une conséquence de la législation américaine Reverse Morris Trust, qui permet de marier une entité issue d’une scission d’activités à un partenaire avec de meilleures conditions fiscales.

« 2019 a été une année de transformation pour IFF car nous avons continué
à prendre des mesures importantes pour redefinir notre industrie. » – Andreas Fibig, chairman CEO d’IFF

FIRMENICH ÉTIRE SES FRONTIÈRES

Les raisons de ces rachats Début mars, Firmenich (C.A. 2019 :
3,9 MdCHF) est entré en négociations exclusives avec Ardian, Tikehau Capital et les actionnaires familiaux de DRT pour acquérir cette dernière (C.A. 2019 : 550 M€). Les Dérivés Résiniques et Terpéniques (DRT) font partie des leaders mondiaux de la production d’ingrédients renouvelables à forte valeur ajoutée issus de la chimie du végétal, principalement à partir de dérivés de pins. Le groupe a réalisé douze
rachats ces trois dernières années. Son joint-venture avec MG International, société turque de parfums pré- sente au Moyen-Orient, en Europe de l’Est et en Afrique, lui offre une belle couverture de ces territoires. De même, les activités d’extraction CO2 d’Evonik, pour les ingrédients parfumés comme les arômes, agrandissent ses capacités de production. Un nouveau programme intitulé Create for Good est destiné aux marques demandant des parfums éco-conçus et naturels. Une page se tourne aussi puisqu’Armand de Villoutreys, partira à la retraite à la fin du mois de juin, remplacé par Ilaria Resta, nouvelle présidente de la Parfumerie.

« DRT nous apportera de nouvelles compétences en santé et nutrition, en cosmétique,ainsi qu’une ouverture à de nouveaux marchés. » – Gilbert Ghostine, CEO de Firmenich

SYMRISE REVOIT SES TROUPES

Les raisons de ces rachats Depuis 2017, la section parfumerie s’est étoffée en talents : Ricardo Omori qui a fait prospérer Symrise en Amérique du Sud est désormais Senior VP Monde Fine Fragrance. Michaël Betito, ex-directeur général Fine Europe Firmenich (ex-VP Worldwide L’Oréal Global Account Firmenich) a rejoint la compagnie allemande au même poste, tout comme Véronique Verbal, ex-directrice de la Fine chez IFF. De beaux « transferts » qui annoncent une nouvelle ère de management et des ambitions en parfumerie fine, avec déjà un meilleur accès aux briefs. Notons que l’équipe a récemment intégré le nez, Annick Ménardo. Dans un autre registre, en acquérant Diana, leader des croquettes et litières pour chiens et chats, et plus récemment ADF, un autre spécialiste de la nourriture pour animaux de compagnie, Symrise trouve un bon relais de croissance pour sa division arômes ; sans oublier que les litières se parfument, tout comme les shampooings pour le toilettage des chiens. Symrise est aussi devenu majoritaire chez le producteur suédois de priobiotiques, Probi.

« La gamme de produits Pinova complète idéalement notre portefeuille. » -Dr. Heinz-Jürgen Bertram, CEO de Symrise AG

TAKASAGO ENQUÊTE D’UN NOUVEAU SOUFFLE

Le groupe qui fête ses cent ans cette année reste un leader en Asie, avec des spécialités comme le menthol, la chimie du camphre et celle du pin (térébenthine…). Depuis 2013, il possède aussi une filière vanille à Mada- gascar. La parfumerie représente 26 % dans le chiffre d’affaires total du groupe en 2019, et les ventes en zone Europe16,9 % (contre 45 % uniquement au Japon). Sa filiale Takasago Europe S.A. installée à Paris en 1978, a grandi avec les parfums signés chez Beauté Prestige International du groupe Shiseido. Nathalie Helloin-Kamel est depuis fin 2017 la VP monde de la section Fine Fragrances.

ET DURANT CE TEMPS, À GRASSE, CET AUTRE MONDE

Dans ce contexte de fusions-acquisitions, que deviennent les autres fournisseurs de matières premières pour les parfums ? Ceux-ci, souvent des entreprises familiales, ont su miser sur le made in Grasse, berceau de leur activité, et les naturels. Deux atouts très recherchés.

MANE, UN GÉANT FAMILIAL

La société basée au Bar-sur-Loup (06) mais qui possède aussi un centre de création à Neuilly-sur-Seine (92) reste entièrement familiale avec la cinquième génération qui s’apprête à la diriger : Jean Mane à la tête de l’entreprise a annoncé prendre sa retraite en 2021. Mane possède un grand savoir-faire en naturels notamment avec les Jungle Essences, mais aussi dans d’autres captifs issus de sa maîtrise reconnue en procédés d’extractions. Elle a récemment pris des parts de marché en se positionnant comme l’un des leaders en arômes pour tabac et ciga- rettes électroniques. Elle possède d’ailleurs une filiale dans les arômes à Quéven en Bretagne. La société, déjà implantée depuis longtemps en Indonésie y a construit une nouvelle usine en 2017, ainsi qu’un nouveau centre R & D à Singapour. Une usine est prévue à Shanghai, et des projets sont en cours en Thaïlande. Mane est par ailleurs bien implanté en Amérique du Sud (Brésil et Mexique notamment).

ROBERTET, DES HUILES ESSENTIELLES AUX EAUX FLORALES

Robertet attise les convoitises : Firmenich passait sa participation à 21,61 % du capital en octobre dernier ce à quoi Robertet répondit ne pas avoir l’intention de transiger avec son indépendance. Puis en décembre, lorsque Givaudan annonça détenir 4,68 % du capital, un communiqué répliqua : « cette prise de participation n’a pas été sollicitée par Robertet et n’a fait l’objet d’aucune négociation ». Le groupe, piloté par la sixième génération de la famille Maubert, a un business model un peu à part, puisqu’il n’a pas de captifs. Mais il s’appuie sur une belle réputation en matière de naturels, pour les parfums, mais aussi arômes et produits destinés à l’aromathérapie. Pour renforcer un peu plus ce savoir-faire, il est devenu majoritaire dans Sirius, spécialiste des huiles essentielles bio et des eaux florales.

ARGEVILLE, DES NATURELS AROMATIQUES

Créée en 1921, Argeville a été rachetée en 1981 par Jean-Jacques Ardizio, décédé en 2010 et actuellement géré par les descendants. Cette unité du groupe Argeville située à Mougins (06) fait de la com- position, des arômes alimentaires, et produit des ingrédients naturels notamment aromatiques, avec quelques spécificités comme la carotte ou de belles qualités de cire d’abeille. Argeville compte une usine à Mougins pour les arômes et parfums ainsi qu’un site de production à Montélimar, dans la Drôme, pour les ingrédients naturels.

BIOLANDES, UNE VASTE GAMME

D’abord créée par Dominique Coutière pour exploiter le pin maritime des Landes, la société, toujours indépendante, a étendu son savoir- faire en matière d’extractions aux mousses et au ciste avec des produits réputés comme le Cis absolu, ou la Dynamone. Aujourd’hui, Biolandes est un producteur d’huiles essentielles et d’extraits pour la parfumerie, la cosmétique, l’aromathérapie et les arômes, avec une gamme aromatique de 300 produits issus de 90 matières végétales collectées dans 30 pays.

TECHNICOLOR, UN MODÈLE ALTERNATIF

TechnicoFlor est la première société fondée à Allauch, au nord de Marseille par François-Patrick Sabater en 1982. Elle fait de la com- position, avec des parfumeurs comme Bertrand Duchaufour ou Irène Farmachidi. Technicoflor a aussi un secteur arômes, et fait un peu de sourcing. Elle possède aussi IES, distributeur de matières premières, dont certaines en exclusivité pour de gros groupes (comme le Javanol ou la Stemone de Givaudan).

ASTIER DEMAREST, EXPERT EN SOURCING DE MATIÈRES PREMIÈRES

Sa spécialité est le sourcing de matières premières naturelles et de synthèse pour parfums, arômes, cosmétiques, aromathérapie… Elle ne fait pas de composition, mais a développé de longue date ses propres filières comme pour le petit grain au Paraguay ou le vétiver en Haïti. Depuis 2015, elle a aussi une activité de négoce de fruits transformés (jus, purées, arômes…).

PAYAN BERTRAND SE DIVERSIFIE DANS LES ACTIFS COSMÉTIQUES

L’entreprise est reconnue pour son beau catalogue de matières premières naturelles grassoises (violette, mimosa…) et retraitées comme la Flouve (essence et absolue de foin), ou le Fumencens, à base d’encens résinoïde. Depuis 2004, elle a une autre unité de production dédiée à la composition, avec une grande expertise en parfums d’ambiance. En 2015, Payan Bertrand a obtenu le label Entreprise du Patrimoine vivant. L’année dernière, la société s’est lancée dans la fourniture d’actifs naturels pour les cosmétiques.

FLORAL CONCEPT, UN SOURCING HAUTE COUTURE

Créé en 2002 par Frédérique Rémy, la fille de Monique Rémy (ex-LMR aujourd’hui chez IFF), cette société fournit des matières naturelles, au sourcing réputé exceptionnel donc de belles qualités comme des traitements « haute couture » (enrichissements
de patchouli cœur, CO2 de baies roses magnifiques…).

ACCORDS & PARFUMS ACCUEILLENT LES INDÉPENDANTS

Accord & Parfum, société-sœur d’Art et Parfum fondé par le célèbre parfumeur Edmond Roudnitska, accueille une trentaine de nez indépendants en quête de matières de qualité et d’une structure à leur service. La mise en commun du centre de production et de services comme la mise en conformité libère les parfumeurs des tâches non créatives. Jean-Claude Ellena pour le dernier Frédéric Malle, Thomas Fontaine, Vanina Muracciole, ou de petits nouveaux comme Pissara Umavijani (marque niche Dusita) y viennent régulièrement. Toujours en quête d’innovation, ce lieu développe des panneaux photovoltaïques avec l’espoir d’être 100 % indépendant en énergie d’ici un à deux ans.

COSMO INTERNATIONAL FRAGRANCES PRÊT À SE DÉVELOPPER EN MATIÈRES PREMIÈRES

Créée il y a plus de quarante ans par le péruvien Fernando Belmont, son siège se situe à Fort Lauderdale (Floride). Cosmo est très présente en Espagne et à Singapour (avec une unité de production dans chacun de ces pays), à Dubaï (bureau), et vient d’ouvrir un bureau
à Paris, dirigé par Alexandrine Demachy (ex-Fragrance Resources- IFF). Outre la composition, la société a un centre de recherche sur les ingrédients à Mougins (06) spécialisée dans les naturels et certaines technologies, notamment la couverture des mauvaises odeurs.

BERNARDI GROUP, LE DISTRIBUTEUR DE MATIÈRES PREMIÈRES

Cette société grassoise est distributrice de matières premières.
Elle est très présente sur certains naturels comme l’Ylang, pour lequel elle a investi aux Comores afin de stabiliser le cours. Elle est aussi
le distributeur historique pour des produits emblématiques d’autres sociétés sur Grasse.

ET AUSSI

􏰇 Créations et parfums Cette société de composition cross category (fine, body care, ambiance…) – C.A. 2018 : 13,1 M€* – s’est associée à Floressence en 2018. Elle parfume beaucoup
de cosmétiques destinés à l’Afrique, type vaseline, soins éclaircissants. Elle est présente en Russie, et en Asie.
􏰇 Azur Fragrances Créée en 1978, elle a un bureau en Allemagne et un laboratoire à Paris et Grasse. Azur Fragrances (C.A. 2018 : 8,8 M€*) réalise beaucoup de home care, un peu de body care et de parfumerie fine, essentiellement pour des marques de GMS. 􏰇 Jean Niel Cette maison grassoise (C.A. 2018 : 32,2 M€*) réalise 45 % de son activité en arômes, 45 % en parfumerie, et 10 % en ingrédients. Elle a une filiale en Asie et une aux États-Unis.
*Source Infogreffe.

Laurence Férat avec Maryline Le Theuf

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